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C’est quoi l’esthétique ? (2) l’art contemporain contre Kant

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À Éric Périer

L’art contemporain est, dans son principe, ségrégatif. Il se constitue sur la base d’une détermination structurale de la sensibilité — une détermination dont on a à peine fait l’histoire (un peu seulement, avec Art contemporain : le concept). Mais une détermination effective à travers la socialité du « monde de l’art », ou, pour l’écrire de manière plus précise, l’institutionnel de marché, étant entendu que cet institutionnel n’est pas réductible à des bâtiments en dur, ni même aux officiels occupant ces bâtiments. L’institutionnel de marché comprend toute personne liée dans son intérêt (dans tous les sens du terme) à la persévérance dans l’être de la production afférente.

La détermination de la sensibilité produit un partage du sensible qui, au strict niveau esthétique, c’est-à-dire en tant que faculté de ressentir, se caractérise par la réduction maximale du ressenti.

Certes, il peut être reproché à Kant d’avoir préparé le terrain en proposant une conception formelle du beau, ou, pour le dire autrement, une conception du jugement de goût pur, comme désengagement de tout ce que le jugement de goût contient de sensible. De ce fait, la proposition de Kant ne cesse d’osciller entre possibilité effective d’un tel jugement telle que son expérience en aurait été éprouvée, attestée (par lui) ; et thématisation du goût comme terme logique d’une tendance vers la pureté inatteignable comme telle dans l’expérience, toujours entachée de sensibilité. Avec Kant, le beau est un sentiment, dans le même temps que ce sentiment engage le corps le moins possible — c’est le désengagement maximal du désir dans le jugement de goût.

Pourtant chez Kant, la dimension politique contenue dans le jugement de goût est prégnante. Comment dérive-t-elle vers la ségrégation? — Avec Kant, l’expérience du beau relève moins de l’énoncé « cela me plaît »,  risquant de réduire le jugement de goût à la particularité subjective, qu’à l’énoncé « cela est beau », renvoyant (en droit) à ce qu’il y a de commun en la sensibilité de tous les hommes. Mais cette proposition sur l’essence du beau est fondée sur le refoulement (au sens freudien), ou pour le dire autrement, l’ignorance, la méconnaissance de l’inconscient. La négation de l’intérêt implique la négation tendancielle du corps, du sensible dans le jugement et au passage, la dynamique même qui produit l’idée de désintérêt dans le plaisir. Mais on ne peut pas imputer à Kant de ne connaître Freud avant Freud.

Or du point de vue institutionnel, la direction qui allait, avec Kant, du beau au politique, dévie. Dans un premier temps, l’art moderne identifie beau et art, réduisant du coup l’expérience du beau à celle de l’art, et l’universalité dans la sensibilité à la communion dans le culte de l’art. Cette communion se radicalise dans l’art contemporain. La classe de loisir, ne pouvant plus même assumer la charge d’universalité contenue dans le concept de beau, réduit alors l’art au mot « art ».

Greenberg arrive au terme de l’art moderne, c’est-à-dire de la cohésion entre art et beau. Après lui, l’expérience de l’art est vidée du beau : l’ « art » est conservé comme mot, comme valeur, comme fétiche, comme dieu, comme totem (selon la praxis de classe) — valeur suprême fondée sur la négation de la production, et, lors d’un état des savoir post-freudien c’est-à-dire connaissant l’inconscient, fondé sur l’inconscient de cet inconscient : la pratique. La pratique qui, à tous égards, détermine la forme et le contenu de la jouissance de la puissance, de la domination, dans le rêve aussi, au fil des enchères monétaires et discursives de l’art contemporain.

Si Kant a proposé une conception parfaitement formelle du beau, ce formalisme était adossé à l’universalité du jugement de goût, fondé sur la proposition d’une sensibilité commune, d’une communauté sensible. L’art moderne, en identifiant beau et art, réduit une première fois cette universalité à la communauté esthétique réunie autour de l’œuvre d’art. L’art contemporain achève cette réduction en réduisant l’art au code culturel du milieu de l’art. Cet art est langagier : réduction maximale du sensible. C’est le parachèvement de Kant, mais sans le politique, c’est-à-dire contre Kant.

Précédent : C’est quoi l’esthétique : réponse avec Kant et Hegel

 

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